Il existe un personnage de l’ombre, qui se situe entre les journalistes et les metteurs en pages. L’éditionneur. Chaque cahier a le(s) sien(s). Pour la rubrique sportive, ce rôle est campé par Thomas Truong depuis 2011. A moitié vietnamien par son père, ce Fribourgeois de 49ans arbore les couleurs de sa petite tribu sur sa nuque. Un tatouage «6T» symbolise sa femme Thi Su et ses trois jeunes fils Tony, Théo et Timo – le dernier «T» étant pour Truong.
«Je relis les textes de mes collègues et compose le cahier sportif», résume l’habitant du Schoenberg, à Fribourg, précisant que selon le rédacteur en chef, il doit être «le méchant du film». Il doit ainsi traiter avec les journalistes, qui veulent parfois «avoir plus de temps avant de rendre leur texte et plus de place», et les metteurs en pages, qui aimeraient «que les délais soient respectés et que les photos soient plus grandes».
Sueurs froides à l’Euro**
Concrètement, sa journée commence à 16h30. «La cheffe des sports, Patricia Morand, m’explique ce qu’il s’est passé pendant la journée, me donne le nombre de pages et ce qu’il y aura dedans.» Le squelette est là, autrement dit les articles que rédigent ses collègues journalistes. Il restera à compléter les pages, notamment avec des dépêches d’agence. A 17h, Thomas Truong présente son sujet fort, avec les autres éditionneurs, à la personne qui pilote l’édition du jour. La Une du journal se décide à ce moment-là – à moins que de l’actualité brûlante ne tombe dans la soirée. «A 19h, c’est le mur», poursuit le Fribourgeois. Les pages déjà prêtes sont accrochées sur un mur (d’où le nom) et commentées notamment par le chef de jour. On veille au rythme et au choix des images. Ensuite, l’éditionneur a jusqu’à minuit et demi au plus tard pour finaliser le cahier sportif.
«Ce n’est pas comme si on priait pour qu’une équipe perde avant les prolongations, mais presque…»
Thomas Truong
Il arrive qu’il y ait des sueurs froides, comme lors de la spectaculaire rencontre Suisse-France de l’Euro, le 28 juin dernier. «Le match s’est terminé à 23h45. Le calcul était vite fait. Nous avions quarante minutes pour boucler un travail qui nous prend normalement 1h30 à 2h.» Il a fallu relire à toute vitesse les textes des journalistes, choisir la photo. «Tout ça dans un bruit de folie. Dans la rue, ça ne faisait que klaxonner. Un des correcteurs avait même mis des pamirs», raconte l’éditionneur, qui prend moins le temps de relire dans ces cas-là, «car il vaut mieux avoir un journal avec quelques imperfections que pas de journal du tout». Et d’avouer: «Ce n’est pas comme si on priait pour qu’une équipe perde avant les prolongations, mais presque…»
Pour surmonter ce stress, lui-même avoue beaucoup relativiser, car même si une faute est relevée le lendemain, il sait ce qu’il a fait et combien d’éléments il a corrigé. Il relève aussi le gros travail des journalistes sportifs, qui écrivent souvent très tard sur leur ordinateur portable et se font parfois chasser des patinoires et des stades à l’heure de leur fermeture. Avant de devoir encore rentrer, parfois depuis Ambri, Davos ou Genève.
Restent les imprévus: «Par exemple, nous prévoyons une très grande place pour un match de hockey, qui ne se termine finalement pas avant minuit et demi.» Il existe plusieurs options: mettre un bouchon, un article en réserve ou un sujet d’agence à la place.
Quant aux horaires, ils ne dérangent pas Thomas Truong. Son éternelle bonne humeur est appréciée de ses collègues. «S’il ne pouvait mettre que du tennis dans les pages, il le ferait», le taquine Patricia Morand. «Non, ce n’est pas vrai», proteste celui qui adore Roger Federer et joue au tennis.