Tu ne vas plus exister, tu n’auras plus ton nom dans le journal!» En 2011, les remarques émises par certains de ses collègues n’ont pas eu raison de la détermination de Christophe Sugnaux, lorsqu’il a quitté son poste de journaliste à la rubrique régionale pour découvrir «l’envers du décor». Autrement dit, rejoindre ce que l’on appelle le desk, domaine des metteurs en page. Il est aujourd’hui le chef de l’équipe de six personnes.
«Nous sommes le trait d’union entre la rédaction et l’imprimerie», illustre l’habitant de Billens âgé de 50ans. Son rôle? Agencer la matière du lendemain, en collaboration avec les éditionneurs et les journalistes tout en respectant la charte graphique du journal. Il doit aussi veiller à ce que la lecture soit attrayante, tout en gardant un œil sur le contenu. «C’est un boulot passionnant qui demande de connaître les ficelles du métier de journaliste, les rouages de la rédaction, les façons de travailler et les différents outils informatiques du système rédactionnel. Il demande évidemment aussi une certaine sensibilité graphique. Le desk, c’est un peu un couteau suisse dans le processus de production du journal.»
«Nos lecteurs ont la chance d’avoir entre leurs mains le journal qui a, à ma connaissance, le bouclage le plus tardif de la presse romande.»
Christophe Sugnaux
Au sein de l’équipe, où le rire est souvent un bon allié contre le stress inhérent au métier, on compte des polygraphes, c’est-à-dire des personnes formées aux arts graphiques, ainsi que des personnes ayant une formation de journaliste. «Une personne travaille de jour, entre 9h30 et 18h30. Elle s’occupe des pages tièdes et froides, autrement dit, de ce qui n’est pas lié à l’actualité brûlante et qui relève généralement du magazine. Elle construit aussi ce que l’on appelle le chemin de fer, à savoir le plan de production du journal avec les pages attribuées à chaque rubrique, que l’on retrouve sous la forme des quatre cahiers – ADN de La Liberté. Cette spécificité est aussi une contrainte, tout comme le fait que le total des pages du journal est forcément un multiple de quatre, afin de répondre aux exigences de l’impression.»
Un contre-la-montre
Une deuxième personne vient à 14h, alors que le reste de l’équipe arrive à 17h30. «C’est le début du contre-la-montre», raconte Christophe Sugnaux, précisant que le desk a jusqu’à minuit et demi pour envoyer toutes les pages à l’imprimerie sous peine d’engendrer des problèmes dans la distribution du journal. «Les dernières pages à partir sont généralement la Une, qui est complétée et adaptée jusqu’au dernier moment pour coller au mieux à l’actualité, et une page du cahier sportif. Nos lecteurs ont la chance d’avoir entre leurs mains le journal qui a, à ma connaissance, le bouclage le plus tardif de la presse romande.»
Parfois, de gros imprévus font monter la pression: «Je me souviens de l’élection du Pape François. L’information était arrivée très tard et nous avions organisé une séance de rédaction en urgence à 22h durant laquelle nous avions complètement revu la Une du journal et le contenu de notre premier cahier.»
Père de trois enfants, Christophe Sugnaux apprécie ce rythme, qu’il assimile davantage à un travail du soir qu’à un travail de nuit. «Je suis plutôt du genre couche-tard et ce rythme me permet d’avoir des doubles journées. J’ai ainsi eu la chance de passer beaucoup de temps avec mes enfants lorsqu’ils étaient petits. J’ai aussi pu m’investir dans la rénovation de la ferme familiale et j’ai le bonheur de passer encore beaucoup de temps à bricoler ou à jardiner avec mon papa, retraité presque aussi hyperactif que moi si j’en crois mon épouse.» Il n’est pas rare non plus de voir Christophe Sugnaux sillonner les Préalpes durant la journée, que ce soit en parapente, à VTT ou à peau de phoque. Le revers de la médaille? «Difficile de faire partie de clubs ou de sociétés locales.»
Ambiance
«Pas d’entrefilet pour le pied de Vaud»
«Tu as fait le chemin de fer?» Il est 14h au desk: oui, le chemin de fer, qui fixe le nombre de pages et leur emplacement, est prêt. Les rubriques ont envoyé leurs maquettes. Il reste une dizaine d’heures avant le bouclage du journal et le rythme de montage des pages va aller en s’intensifiant. Déjà, les échanges fusent entre metteurs en pages, journalistes et éditionneurs: «Pour la tête en page Suisse, je te mets un entrefilet avec bobine?» «Pour le pied de Vaud en revanche pas d’entrefilet, mais je peux te donner un chiffre.» «Allo? Un ventre de brèves en 4? O.K., je te l’assigne!» «Le surtitre est trop long, tu peux couper?» «L’article est corrigé, je t’imprime la tierce.»
A 19h, le mur permet de faire le point sur les pages déjà montées. «Ce titre ne veut rien dire, merci de le changer», lance le chef de jour. «Et il faudra inverser la FR2.» Editionneurs et metteurs en pages s’exécutent. Le pied de la deuxième page du cahier régions sera notamment placé en haut et transformé en «grenier». Devant le mur, le chef grimace: «Cette page sandwich n’est pas terrible, il y a plus de pain que de garniture!» JR